MA ROQUINERIE

"laissez l'onde aller légère aux sources du souvenir...c'est là que se trouve le meilleur à venir" kb

mercredi, août 03, 2005

Trouduc

J'enfilais des gants en latex, assis sur mon tabouret tournant, attendant que l’homme se mette à quatre pattes sur la table d’auscultation. Je pratiquais le métier de gastro-entérologue depuis plus de quinze ans maintenant et je m’étais accoutumé à la gêne éprouvée par les malades à se mettre dans cette position quelque peu incongrue. J’avais pris l’habitude de m’affairer faussement à renseigner un rapport ou à faire semblant de préparer les ustensiles déjà soigneusement disposés par mon assistante méticuleuse. Ce petit rituel rassurait et dissipait la gêne de mes patients. Cependant, cette fois ci je ressentais moi même une gêne inexplicabler. Au fil des ans je m’étais entraîné à ne pas regarder dans les yeux les malades qui fréquentaient mon cabinet , ayant constaté que cela les mettait mal à l’aise. Juste quelques brefs regards pour éviter qu’ils ne prennent mon attitude pour un désintéressement de leur tracas. En attendant que l’homme finisse de se mettre en place je renseignais les fiches des patients précédents. Celui ci était le dernier de la journée.

Nadia, mon assistante passa sa tête par l’embrasure de la porte

- je peux partir monsieur. Il est dix neuf heures trente et je dois...

Je l’interrompis d’un signe de la main en souriant, lui faisant savoir qu’elle pouvait disposer. L’homme n’était pas très bavard. Il avait juste marmonné qu’il se plaignait de douleurs en pointant sa main vers son postérieur. Je m’arrêtai d’écrire me rappelant un détail : en plus des lunettes noires qu’il avait gardé malgré la lumière calfeutrée, il portait également une paire de gants en cuir. Nous étions pourtant au mois d'août. De plus en plus perplexe je me rappelai le fait que ses jambes étaient plus longues que la normale, faisant paraître son buste plus court comme celui d’un bossu. De plus il se déplaçait d’une drôle de manière. J’avais d’abord pensé que c’était à cause de la douleur mais j’en doutais maintenant. Je me levai, mal à l’aise, et me dirigeai vers la table.

- " Nous allons voir tout ça, ça doit pas être bien grave " lui dis-je, essayant de détendre l’atmosphère. Il me semblait que l’air se solidifiait. Ahuri, je regardai passer une mouche devant moi. Ma stupeur n’était pas due au fait du spectacle banal d’un vol de mouche. Autant qu’incroyable que cela puisse vous paraître, je percevais le battement de ses petites ailes comme dans une séquence au ralenti. Je tendis un doigt et lui caressai du bout de l’ongle la tête. Je retirai vivement la main. Elle avait ronronné de plaisir....si ...si je vous assure. Elle me souriait de toutes ses mandibules. Une sueur froide suinta le long de mon échine. Je revins vers le bureau. L’homme sur la table poussa un petit ricanement. Que diable était-il en train de se passer ? j’avais sûrement du trop travailler ces derniers temps. C’est cela ! ça devait sûrement être le stress. Je me servis un grand verre d’eau ; ce qui me fit beaucoup de bien.
J’avais sûrement imaginé tout cela et je voyais déjà ma femme se moquer de moi lorsque je lui raconterai ces visions. J’allais reposer le verre sur le bureau quand celui-ci me glissa de la main. Je le regardai tournoyer lentement, flottant un moment dans l’air, avant d’entamer une lente descente vers le sol. Voilà que ça recommençait ! le verre cogna sans bruit contre le coin du bureau et se mit à tournoyer dans l’autre sens. De temps à autre j’entendais un petit bruit sec. Je mis un certain moment à réaliser que c’était le tic tac de la pendule. Il battait au ralenti faisant, comparativement, paraître les battements de mon cœur à un roulement de tambour. Mes mains étaient moites et de grosses gouttes de sueur perlaient sur mon front.

- " je suis prêt " dit l’homme, ponctuant sa phrase par un ricanement bizarre. Je me sentais mal. Je jetais un coup d’œil dans sa direction. Il était agenouillé et déculotté, le buste penché en avant, appuyé sur ses coudes. La toison brunâtre qui recouvrait ses jambes et ses fesses était tellement dense qu’on ne pouvait voir sa peau. Le verre chutait toujours en tournoyant. Sa tête, comparée à son postérieur, était toute petite. Le verre tournoyait toujours. Il me regardait à travers ses lunettes et je m’aperçus que derrière sa bouche sans lèvres, juste une fente bordée de plissures, il n’avait pas de dents. Le verre chutait... encore et encore. J’avais besoin de prendre l’air. Le verre tournoyait interminablement.

- " excusez moi une petite minute " arrivai-je à articuler. Je me dirigeai en titubant vers la porte donnant sur la réception et l’ouvrit sèchement. Nadia qui avait fini de mettre de l’ordre enfilait sa veste, s’apprêtant à partir. Elle s’interrompit en me voyant :

- " quelque chose ne va pas monsieur ? vous êtes tout pâle !"

Je pris un stylo de ma poche et le laissai tomber. Il alla s’écraser le plus normalement du monde par terre. Nadia me regardait médusée.

- " vous êtes sûr que ça va ? "

Tout paraissait normal dans la réception. La trotteuse de l’horloge murale sautillait de son petit mouvement marquant les secondes telles que les avaient toujours conçues mon esprit.

- " voulez vous que je reste ? "

- " non....non ! vous pouvez partir....ça n’est rien, juste une petite migraine. D’ailleurs je n’en n’ai plus que pour une dizaine de minutes " tout en disant cette phrase je la poussai gentiment vers la porte que je refermai après elle.

Je revins dans la chambre d’auscultation et m’adossai contre la porte, le temps de reprendre mes esprits. Je pris une grande bouffée d’air et me dirigeai vers le patient qui devait sûrement être en train de perdre patience.

- "je suis à vous " lui dis-je, saisissant au passage l'endoscope. Il maugréa je ne sais plus quelle réponse. Sa voix semblait provenir de loin. J’enduisis le bout de l’appareil de vaseline et m’apprêtait à le sonder lorsque je remarquai un repli de peau émergeant des poils juste au dessus de son anus. J’approchai mon visage pour mieux voir l'excroissance et... vous ne devinerez jamais... ce que je prenais pour un repli de peau était en fait une paupière. Elle s'ouvrit brusquement sur un œil vert à la pupille en fente, comme celle d'un chat. Suffoquant de surprise je tombai à la renverse entraînant dans ma chute la table aux ustensiles. Au moment ou je touchai le sol j'entendis un " crash " provenant de sous le bureau... c'était le verre... mon dieu ! Il venait à peine d'atteindre le sol. Les éclats de verres remontaient telle une gerbe d'eau, tournoyants et projetant des reflets de lumière colorés. Le tube souple de l'endoscope qui m'avait échappé de la main dansait tel un serpent au dessus de ma tête, à côté des ustensiles tombés de la table et qui maintenant tournoyaient sinistrement en l'air.
Je me redressai sur les coudes... la tête me tournait. L'homme... la chose me regardait de son œil unique. Ce que j'avais pris pour son postérieur était en fait sa tête, velue comme celle d'une araignée. Il... elle... je ne sais plus... avait quitté ses chaussures et ce que je pensais être des pieds déformés étaient en réalités des mains aux doigts étonnement longs et pourvues de griffes noirâtres. Il était assis, à la manière d'un chien, un bras au dessus de l'autre tapotant des doigts sur la table... mon cœur battait la chamade...
- "bonjour trouduc"

il avait parlé d'une voix rauque. On ne m'avait plus appelé trouduc depuis le lycée. Un hurlement me montai à la gorge. Il ouvrit son an...sa bouche sur des crocs jaunes et tranchants. Sa langue se détendit, comme celle d'un crapaud, et vint s'enrouler autour de mon cou... je me mis à hurler.

Je hurlais comme un damné les mains accrochées au col de mon pyjama. Ma femme me secouait pour me réveiller. Je continuais à hurler un bon moment encore avant de réaliser que j'étais assis dans mon lit, trempé de sueur. Mon épouse était terrorisée. Je la rassurai en lui disant que j'avais fait un cauchemar et me levai lentement pour me diriger vers la salle de bains. Ce rêve me paraissait tellement réel... je devais prendre quelques vacances. J'appellerai Nadia pour lui dire d'annuler tous mes rendez-vous pour la semaine prochaine. Je m'aspergeai le visage et me rempli un grand verre d'eau pour me rafraîchir. Je ressentais une petite douleur... au niveau de mon anus. Non ! Manquerait plus que j'aie les hémorroïdes ! Ça serait le comble pour un gastro-entéro. Je me mis à rire, tout seul comme un fou.

- " tu devrais consulter un psy ! " cria ma femme qui m'avait entendu rire " à force de tripoter les trous de balles t'as du certainement pété un plomb "

- " t'en fais pas ma grande " lui répondis-je en riant.

La douleur se faisait plus forte dans mon bas du dos.

- " de toute façon dès demain je me paye une semaine de congé ".
J'avais de plus en plus mal. Je baissai mon pantalon de pyjama et saisi une petite glace pour voir l'origine du mal. Bon dieu !... le miroir me glissa des mains et resta suspendu en l'air en train de tournoyer... un œil... j'avais un œil... vert... juste au dessus de l'anus...


kb...les effets secondaires d'un excès de chorfitude :) :)

11 commentaires:

  • À 8:11 AM , Anonymous Anonyme a dit...

    kbyieb, Il faut que t'arretes de lire du Stephen king... Quel Horreur ton cauchemar! Maintenant je sais comment tu peux surveiller et assurer tes arrières :)

     
  • À 12:03 PM , Anonymous Anonyme a dit...

    récit captivant, ça m'a rappelé un roman que j'avais lu à l'école, " mon prof est un extraterrestre" mais je ne me rapelle plus de l'auteur, c'est sûr c'est pas marrant de faire un cauchemard pareil mais lire ce post est un plaisir sensoriel,intellectuel...ce que j'ai adoré c'est les différentes pauses temporelles !
    merci

     
  • À 1:11 PM , Anonymous Anonyme a dit...

    Ce truc, est un copier-coller que j'ai fait du truc que j'ai posté chez rafie. Je tenais à te le dire, à toi aussi, en face. "Écris-vain", va !

    "Elle est là. Bien là. Je la vois. En vrai. Enfin ! Elle est là depuis quand ? Elle est rentrée comment ? Elle est rentrée par où ? La porte est fermée. Comment a-elle fait ? Je ne sais pas. Elle ne me l’a pas dit. Je ne lui ai pas demandé..."`
    -------------------------------------------------
    Si vous voulez savoir la suite, allez vite sur mon blog.
    Qu'est ce que vous croyez ? Que vous êtes les seuls à savoir bien écrire et "littératurer" fhad lablad ? ça va pas non ?
    Non, mais ! Jbadtouni ! Ioua allez voir lkatba kif daira.
    Laroussi...qui s'y met aussi ( en plus, chez moi, ça rime)

     
  • À 1:16 PM , Blogger kb a dit...

    à vrai dire j'ai hésité longtemps avant de mettre en ligne cette nouvelle que je trouve tres mal écrite...rapidement en tout cas, son but initial était de chambrer un pote animateur d'atelier d'écriture qui prenait son rôle très au sérieux.
    dimanche je la sucre...et tant pis pour ceux qui ne l'aurons pas lue

    kb...

     
  • À 1:29 PM , Blogger kb a dit...

    désolé votre sainteté..on a posté presque en même temps j'avais pas vu ton post.
    t'as pas besoin de prouver quoi que ce soit...ton talent est incontestable
    Rafie fait dans l'écrit-vin
    moi dans l'écrit-vain
    tu restes donc le seul à faire l'écrivain...dont les raivs deviennent vrais

    kb...anagramme

     
  • À 3:03 PM , Blogger rafie a dit...

    Heureusement que kb et Laroussi sont là! Pour un insomniaque comme moi, c'est le nirvana! Entre les rêves qui riment (je ne ferai pas le jeu de mot) de sa chorfitude et les cauchemars gastros de sa kbéatitude, je peux dire, que dormir n'est pas une sinécure.
    Rafie…éveillé

     
  • À 4:40 PM , Anonymous Anonyme a dit...

    Tu es hyper hyper sympa, kb. En plus, on ne te le dira jamais assez, tu as une écriture subli-mi-si-meeeeeeeeeee. Je te remercie pour moi d'abord, pour tous les autres, et surtout pour notre ami Rafie qui vient à peine de revenir, et qui n'en revient toujours pas. Je ne l'ai pas revu de visu, mais je suis sûr qu'il est méconnaissable en mieux, en beaucoup mieux. Et comme il y a beaucoup de trouducs sans suc avec lui, il est en train de les laisser tous très loin derrière lui. Et si jamais ils lisent - s'ils sont capables de lire - ce qu'il écrit et ce que tu écris, je suis sûr qu'ils vont tomber sur le cul. Et j'espère qu'ils auront mal. Quant à toi, continue comme ça.Tu nous tellement de bien .
    Laroussi...reconnaissant

     
  • À 4:40 PM , Blogger Houdac a dit...

    Mais alors là KB...je suis...ohhh (bouche bée et yeux grands ouverts...et je parle bien des yeux de ma tête :p)
    On a vu le rêve de sa chorfitude (on l'a pas regardé car il ne nous regarde de pas...le rêve) et on a pleuré l'insomnie de Rafie...mais imaginer un oeil vert dans un anus...C'est le comble de...beurk!!
    Quoique j'aimerais bien voir le temps s'écouler au ralenti (préparez vous à acheter mon cado d'annif...)

    Houda...bientôt vielle

     
  • À 6:25 PM , Blogger kb a dit...

    je suis zému

    kb...c'est tout :)

     
  • À 11:07 PM , Anonymous Anonyme a dit...

    Les copiers-coller, j'en sais qq chose. Désolé je ne veux pas écorcher les écrits-saints, mais la place manque sur la colonne "com":

    dans ce monde abstrait du virtuel
    à la précarité des rencontres irréelles
    nous n'avons que la force des mots
    pour tenter d'exprimer ce qui en nous est beau.
    ..........
    alors un seul contrat riez!
    riez de la contradictoire idée que le fait de "n'avoir qu'une parole" nous hisse obligatoirement sur le piédestal du respect imposé par le sérieux manque de langage.
    n'avoir qu'une parole est l'apanage des conformistes
    confinés dans l'étroit champ d'un terrain pauvre en paroles........
    alors n'ayez plus peur des mots
    c'est le meilleur remède contre tous les maux et de ce fait ne soyez plus sot
    en pensant que de trop parler il vous arrive d'être taxé du genre idiot!

    Tu t'en souviens
    Il est sur Medersa
    Combien je te dois ? j'ai pas de calculette pour le nbre de mots.

    Au fait, t'as rêvé du procto ou du gastro?

     
  • À 1:07 PM , Blogger Selma a dit...

    génial,excellent,vous nous en donnez des sensations!je vous tie ma révérence.
    mal écrite,vous plaisentez
    ah,j'ai compris,z3ma vous jouez le jeu de la modestie,pour avoir plus de compliments.
    iwa asidi tbarkellah 3lik

     

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